Régal de la presse

revue de presse

Hédiard, Fauchon et autres grandes épiceries

Poivres et sels

Ici, il n’y a pas de rayons mais des comptoirs, dont les couleurs et les odeurs fleurent bon l’exotisme. Voyage à l’intérieur d’épiceries fines de Paris.

Paris, place de la Madeleine, numéro 21 : Hédiard 1854, ancien Comptoir des colonies et de l’Algérie. A l’intérieur de la boutique règne un désordre ordonné. Le décor boisé, subtilement vintage, évite la nostalgie facile. Impression d’un kaléidoscope bousculé d’ombres et de lumières. Ivresse d’un patchwork de senteurs provocantes qui font des promesses inconsidérées. Ici, il n’y a pas de rayons mais des « comptoirs », comme jadis dans les anciens établissements coloniaux. Abondance : le comptoir des thés présente les boîtes écarlates de 240 variétés sous leur couvercle en bonnet de mandarin ; celui des épices, 51 épices en vrac et 70 autres conditionnées. Des pyramides de sels – dont un rose de l’Himalaya – évoquent un souk lointain. Une charrette de marchand des quatre saisons trône, rappelant les débuts de Ferdinand Hédiard, place des Victoires. C’est dans sa boutique, installée place de la Madeleine à partir de 1870, que furent révélés aux Parisiens les plus improbables produits exotiques, des épices oubliées, des fruits de contre-saison et d’autres qu’on n’avait encore jamais vus sous nos latitudes.


Les épices ont toujours été un signe extérieur de richesse. Le mot vient du latin species, qui a donné espèces… Au Moyen Age, le poivre était une monnaie. Pour remercier, on donnait un pot de poivre : l’origine du pot-de-vin ! A l’époque de Marco Polo, d’autres épices aussi chères ont suivi, faisant la fortune de Venise et des marchands arabes du Moyen-Orient. Pour les conquérir, les Compagnies « des Indes » – britannique, hollandaise, portugaise et française – se sont livré de furieuses batailles en mer. Les marchands qui négociaient ces denrées étaient appelés épiciers, voire apothicaires, les épices étant appréciées pour leurs vertus médicinales. D’ignobles falsifications virent le jour : de la crotte de chien mélangée à du poivre ! Au ?XVIIIe siècle, les épiciers élargissent leur commerce à toutes sortes de comestibles exotiques. Le grand gastronome Grimod de La Reynière évoque, parmi ceux du Palais-Royal, le fameux Corcellet, dont l’ultime descendant, Paul, a disparu il y a peu. Chez lui, on trouvait des pattes d’ours, du boa fumé, de la trompe d’éléphant… Pour une chronique de l’émission de Jacques Martin Le Petit Rapporteur, il m’avait préparé des sauterelles grillées enrobées de chocolat : leur distribution au public du studio fut la cause d’une panique assez réjouissante.
Depuis la disparition de Corcellet, Hédiard reste l’héritier le plus fidèle de la grande tradition des épiceries fines. Les marchandises y sont présentées à l’ancienne, posées sur de rudes sacs de jute : 18 huiles (avec en vedette l’extravierge de Toscane), 25 confitures, 25 moutardes en déclinaisons et superpositions affolantes. On peine à lire les étiquettes. Discrètement, au bon moment, un vendeur propose son aide : « Si je peux faire quelque chose pour vous, faites-moi signe. » Un labyrinthe nous mène à la haute verrière qui coiffe l’espace où sont assemblés et brûlés les cafés. Au choix, une trentaine d’arabicas en bal les ouvertes (de 25 à 200 euros le kilo). En vedette : le Coffea laurina cher à Louis XV et le « mélange Hédiard » (Brésil-Ethiopie-Burundi). Plus loin, dans un chai en cage vitrée, se dévoilent plus de 1 000 références de vins, du modeste Riesling (10 euros) à la riche Romanée-Conti 1985 (21 780 euros). Sur un grand escalier double sont présentés des alcools fameux mais peu raisonnables, certains millésimes remontant au XIXe siècle. On y trouve même un bas-armagnac 1932, le plus mauvais d’entre eux : un oubli du sommelier, par ailleurs excellent.
Ailleurs, légumes et fruits font un jeté battu, en étal de fraîcheurs. Suivent en conjonction 24 fruits confits (dont l’ananas confit de Maurice et de La Réunion), 24 pâtes de fruits, 26 parfums de fruits glacés. Plus inattendu, un foie gras entier mi-cuit à la mélasse de grenade et baies de canneberge (160 euros le kilo). Je n’ai pas remarqué si l’on poivre le Brin d’amour, un fromage corse de brebis en retour de terroir – à chacun son exotisme.
Un ascenseur d’avant-garde nous hisse au restaurant. Bois polis et ventilos retour d’Orient : l’atmosphère y est plus British Empire que colonies françaises. La carte est bien pensée. Maquereau-gelée wasabi, jambon Trevélez, sole meunière sont intéressants. Dattes et marmelade de citrons sont bienvenues sur le bar. Faisselles et confitures nous ramènent à l’enfance. Le tout accompagné par un bon pomerol au verre avec, en prime, une vue panoramique sur la Madeleine.

Sur la même place, en face, Fauchon, l’éternel rival. Après guerre, c’était à qui trouverait au-delà des tropiques ce que l’autre n’avait pas déniché. On se querellait autour du poivre vert, de la mangue, de l’avocat… Face à un Hédiard bourgeois et familial, Fauchon se montre plus snob avec ses directeurs brillants et fastes. Tandis que le premier joue la tradition tout en se projetant prudemment à l’extérieur, le second mondialise à tout-va, exploitant au maximum son nom quitte à le banaliser. A preuve la luxueuse, chère et froide décoration du Fauchon d’aujourd’hui, tirée au trait, balisée au carré, en forme de déjà-vu : on pourrait y vendre n’importe quoi. L’accueil est professionnel, prompt et souriant, mais stressé. A ne pas acheter, on ressent comme un bizarre sous-entendu : circulez, il n’y a rien à voir. On regrette une communication pédante : le rituel du thé est « rythmé par une série d’émotions et de perceptions très sensuelles qui arrivent les unes à la suite des autres » ; le chocolat prétend à « la rupture intelligente » et à « l’alternative permanente » ; le fromage incarne « une démarche engagée en for me de manifeste pour une offre éclairée » ; les desserts jouent la « transposition d’imaginaires non culinaires ». Et j’en passe ! Les chocolats n’en sont pas moins d’exception, les pâtisseries braves, la confiserie est maligne, un des foies gras (celui à la fraise) superbe, les saumons fumés sont remarquables, et le chef de cuisine est un grand professionnel.

Comme Hédiard, Fauchon a son restaurant, Le Café. Une décoration flashy de murs-miroirs décalés y clame son clinquant, et les rebondis mous des canapés argentés sont accueillants à défaut d’être classe. Le personnel, souriant, est un peu stressé, et la carte fait de l’humour : « Fish and chic… sel fou » (drôle, non ?). Des déceptions : un jambon de Parme dix-huit mois rance, un mille-feuille à la vanille hésitant. De bonnes surprises : le saumon fumé d’Ecosse exceptionnel, la sole meunière très en forme, et un beau bar à saumons et caviars. La maison a fait du chemin depuis qu’Auguste Fauchon a installé, vers 1885, sa carriole de fruits et légumes sur la place.

Depuis 1978, Hédiard et Fauchon ont un concurrent de taille, La Grande Epicerie de Paris, qui va bien au-delà de la seule épicerie fi ne et s’inscrirait plutôt par ses dimensions en héritière de l’énorme maison Félix Potin. Depuis la création, en 1923, à l’intérieur du Bon Marché, d’une minuscule surface alimentaire vouée aux conserves et aux thés, l’actuelle épicerie a pris ses aises : 3 000 mètres carrés de surface, 25 000 références de produits, bien plus qu’Hédiard et Fauchon ré unis ! Gigantesque halle de l’alimentation générale, elle est impressionnante. Elle délivre souvent du bien bon : boulangerie, jambons blancs, conserves du monde entier, thés, charcuteries, légumes, pâtes, condiments, légumes secs ou vins. Moins exaltants sont les prêts-à-manger, la boucherie et les fruits, trop polis. Tels Hédiard et Fauchon, La Grande Epicerie a son restaurant, une belle double terrasse-jardin, ouverte ou couverte. Dans cet « italo-snack » civilisé, le service est jeune et joyeux, mais la direction navrante et la cuisine inégale : charcuterie de Tosca ne honorable ; pâtes au basilic de qualité mais un peu trop cuites ; tiramisu digne d’addiction. Le spectacle de dames en rupture de shopping et de confidences vaut bien qu’on recommande une bière.

Dernière étape du voyage chez le magicien des épices, Olivier Roellinger, immense cuisinier à Cancale, installé depuis peu à Paris. Raide d’une échelle de cale. Lumière de lanternes au-dessus d’une étagère chargée de boîtes en fer-blanc aux douze vanilles (chères à Baudelaire). Sensation entre roulis et tangage : à ôter le couvercle de l’une d’elles, l’étagère a frémi d’un léger va-et-vient. Comme si leur traversée des océans continuait. Remontée à la boutique, voisine des bureaux de Voyageurs du monde. Senteurs aux exotismes compliqués à débrouiller, enivrant à se « poivrez », comme écrivait Rabelais. Rayonnages en sages alignements de centaines de petits flacons étiquetés rouges de « poudres d’ épi ces » (de 7,70 à 8,70 euros), de la Défendue (anis vert, gingembre, cannelle et épices diverses) pour les salades de fruits à la Marine (fenouil, ajowan, coriandre, ail et divers) pour les poissons iodés. Les sels (à partir de 6 euros), comme la Fleur de Lune (fleur de sel, vanille, cumbavas), et les huiles aux aromates (à partir de 7,70 euros), comme la Muscade (huile de pépins de raisins, amande, muscade, macis), ne sont pas en reste. La boutique tient du cabinet de curiosités : ici, un coffre que l’on imagine d’un pirate de Zanzibar ; là, constituée de clous de girofle, l’insolite maquette d’un boutre. Le magicien Roellinger y embarquerait-il par les nuits sans lune vers ses îles aux épices ?

Comptoirs de luxe
Hédiard (depuis 1854) 21, place de la Madeleine, Paris VIIIe Tél. : 01-43-12-88-98.
Fauchon (depuis 1886) 26, place de la Madeleine, Paris VIIIe. 01-70-39-38-00.
La Grande Epicerie de Paris – Le Bon Marché (depuis 1978) 38, rue de Sèvres, Paris VIIe. 01-44-39-81-00.
L’Epicerie de Bruno (« l’homme aux 160 épices ») 30, rue Tiquetonne, Paris IIe. 01-53-40-87-33.
Izrael 30, rue François-Miron, Paris IVe. 01-42-72-66-23.
Roellinger 51 bis, rue Sainte- Anne, Paris IIe. 01-42-60-46-88. 1, rue Duguesclin, Cancale. 02-99-89-64-76. 12, rue Saint-Vincent, Saint-Malo. 06-18-80-44-10.
Arosteguy (depuis 1875) 5, avenue Victor-Hugo, Biarritz. 05-59-24-00-52.
Arax 24, rue d’Aubagne, Marseille. 04-91-33-94-89.

Philippe Couderc

5 Comments

Filed under Régal de la presse

L’Institut Paul Bocuse

Comment vit-on… à l’Institut Paul Bocuse ?  

Installée près de Lyon, l’école consacrée au management de l’hôtellerie et à l’art culinaire ne néglige aucun aspect du métier.

« Vous avez vu qu’avec les escargots, il faut mettre les cuillères à poisson. » Dans la salle du restaurant Saisons, cinq étudiants de première année de management international de l’hôtellerie et de la restauration dressent les tables. En uniforme noir et chemise blanche, ils ont été briefés, depuis le matin, sur les plats, les fromages, les vins à servir… La fricassée d’escargot et sot-l’y-laisse du menu ne se mangera donc pas avec des pinces. Ce 18 avril est jour d’examen, et une légère fébrilité se fait sentir avant l’arrivée des clients. En plus de Bernard Ricolleau, le responsable du restaurant, qui leur a appris ce métier, un maître d’hôtel extérieur va venir les observer et les noter. Aucun de ces jeunes gens, titulaires d’un bac général pour la plupart, ne devrait servir en salle au sortir de ces trois années de cours, mais tous connaîtront le moindre rouage de leur futur univers de travail.

Au château d’Ecully, à quelques kilomètres de Lyon, où s’est installé l’Institut Paul-Bocuse, 400 étudiants en management ou en art culinaire passent ainsi du restaurant aux cuisines -en plus des cours de comptabilité, de droit, de design, de marketing…- pour décrocher une licence ou un master qui leur permettra d’entrer dans les plus grands hôtels et restaurants ou, pour 30% d’entre eux, de créer leur propre entreprise. Le lieu, qui combine passé -avec son château gothique construit en 1882 par un soyeux lyonnais- et modernité -avec ses 4.600 mètres carrés de bâtiments pédagogiques cachés à l’arrière-, n’est pas qu’un des établissements parmi les plus prestigieux de France. C’est aussi une école de dégustation -de vins, de cafés, de thés-, un incubateur d’entreprises, lancé en janvier, ainsi qu’un centre de recherche unique sur l’alimentation. Un endroit où étudiants et gastronomes du monde entier se croisent pour tirer le meilleur de l’assiette.

Derrière le château, la passerelle qui surplombe le jardin aromatique rejoint l’édifice construit par l’Etat dans les années 1990. Au premier étage, les étudiants en art culinaire sont les princes des huit grands laboratoires de cuisine, dont deux de pâtisserie. Ce lundi, les étudiants de deuxième année passent leur examen. Comme dans l’émission « Top Chef », ils présentent un à un leurs préparations à Patrick Gérard, un des chefs enseignants, et à un gastronome externe, Christophe Batard, kinésithérapeute de la région, qui notent tous deux les plats.   

Les entreprises au cœur

 L’omelette du curé aux queues d’écrevisse ne les convainc pas, mais le candidat se rattrapera sur le dessert. A deux pas, beaucoup moins stressés mais tout aussi attentifs, un groupe de Coréens prépare un menu à la française, qu’ils dégusteront au F’n’B -pour Food and Beverage, l’école étant bilingue. Ce restaurant est géré par une classe différente chaque semaine, de la composition des menus au service en salle. En face, des amies s’essaient à la pâtisserie. Depuis 2000, l’institut a en effet ouvert une école de cuisine et reçoit plus de 90 groupes de 7 à 30 personnes par an. Aujourd’hui, même des professionnels viennent y faire des stages sur mesure.
« Mes étudiants me surprennent par leur capacité à créer des liens avec les entreprises », se réjouit Hervé Fleury, directeur général, en montrant un élève qui, pour une étude marketing, a invité une demi-douzaine de personnes à venir au château. Ancien directeur marketing d’Accor, il a été appelé il y a douze ans par Gérard Pélisson, cofondateur du groupe hôtelier et président du conseil d’administration de l’institut, pour reprendre le flambeau, avec Paul Bocuse, d’une école créée en 1990 à l’initiative de Jack Lang, et qui rencontrait quelques soucis financiers. Depuis, avec un conseil d’administration composé de personnalités de Danone, Bonduelle, Malongo, Villeroy & Boch… elle est devenue rentable. Ces entreprises donnent parfois un coup de main pour l’équipement, comme Seb, qui fournit des articles culinaires, ou Electrolux, qui a aidé à aménager la cuisine du centre de recherche. Celle-ci permet de concocter des repas aussi bien gastronomiques qu’hospitaliers. Car, ici, l’alimentation s’étudie sous toutes ses formes.

Dans les anciennes écuries, rénovées en 2008, le centre de recherche accueille une douzaine de chercheurs et de doctorants. Ils étudient aussi bien l’influence de la lumière sur la dégustation que le comportement alimentaire de l’enfant, ou encore la façon de suivre les recettes. Grâce à un restaurant, l’Expérimental, modulable et équipé de caméras, ils peuvent discrètement observer leurs cobayes volontaires. Dans une petite salle du premier étage, Xavier Allirot, ingénieur en agroalimentaire, scrute ainsi deux écrans. Il enregistre le déjeuner de cinq hommes. Ceux qui ont grignoté depuis le matin mangent-ils comme ceux qui ont pris un simple petit déjeuner? Réponse dans un an. A l’Institut Bocuse, on prend le temps de mettre les petits plats dans les grands. 

par Soizic Briand, journaliste à Challenges.

Insitut Paul Bocuse

Leave a Comment

Filed under Régal de la presse

Le château de Versailles reçoit !

Dîner d’exception au Château de Versailles mercredi 6 avril 2011. Soixante grands chefs concocteront un repas pour 650 convives. Les bénéfices serviront à financer la future cité de la gastronomie. Le projet, à concrétiser, est né de l’inscription en novembre 2010 du repas gastronomique français au patrimoine immatériel de l’humanité.

Que la gastronomie soit ! Ce mercredi 6 avril au Château de Versailles, dans la salle des Batailles, 650 convives vont se partager un dîner concoctés par 60 chefs étoilés. Le prix du repas est scandaleusement indécent 890 €. A ce prix, des cuisiniers au nom célèbre (Anton, Pourcel, Troisgros pour n’en citer que quelques uns…), réunis en trio, seront chargés de mitonner un dîner pour 40 couverts. À l’honneur : les produits du terroir, champagnes et vins millésimés.
Le festoiement au château
est initié par Relais & Châteaux (Jaume Tapiès) et Grandes Tables du Monde (Marc Haerbelin). Le but est tout à la fois de fêter dignement l’inscription du repas gastronomique français au patrimoine mondial de l’UNESCO (novembre 2010). Mais aussi de faire des bénéfices. Ils seraient les premiers deniers versés à Jean-Robert Pitte (initiateur). Sorte de premières pierres au projet de création de la Cité de la gastronomie.
La gastronomie française n’est pas morte ! Vive la gastronomie !

1 Comment

Filed under Régal de la presse