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Le guide Michelin – Une édition à remonter (enquête Challenges)

Le business du Guide

Confit dans sa formule papier, le Guide Michelin est prié par la maison mère de se mettre au régime. Une première.

C’est le début de la fin, avenue de Breteuil, dans le VIIe arrondissement de Paris. Dans quelques jours, les bureaux du service des cartes et guides du groupe Michelin vont quitter cette artère huppée de Paris, sa double allée de tilleuls et ses pelouses. Au printemps, la vénérable institution qui rédige et édite depuis plus d’un siècle le plus célèbre guide gastronomique du monde rejoindra l’immeuble Jazz, sombre building de pierres noires situé à Boulogne-Billancourt, sur l’emplacement des ex-usines Renault. En vendant son immeuble historique pour devenir locataire en banlieue, le groupe va réaliser une belle opération immobilière. Mais les salariés font grise mine, car ce déménagement marque la fin d’une époque. Cette activité qui n’avait pas d’obligation de rentabilité est aujourd’hui priée de ne pas trop coûter au groupe familial. Il faut rentrer dans le rang. Jean-Luc Naret, le charismatique directeur du Guide depuis 2005, a été récemment remercié. « Il avait un style trop bling-bling qui dérangeait de plus en plus à Clermont-Ferrand », analyse Pascal Remy, ancien inspecteur du Michelin, qui a révélé plusieurs secrets de fabrication dans L’inspecteur se met à table, publié en 2004. Exit Naret et, avec lui, une époque faste. 
Officiellement, tout va pour le mieux. « Notre seule obsession, c’est la qualité du service apporté aux clients », assure Juliane Caspar, la rédactrice en chef du Guide rouge. De fait, Bibendum, plus souriant que jamais, règne toujours sur le marché mondial du pneumatique. L’image est bonne, et Michelin a bien négocié le virage écologique. Quant au Guide, à 111 ans, il n’a peut-être jamais été aussi fort. Il vient de fêter le 100e anniversaire de l’édition britannique et le Guide France, qui sort ce 3 mars, fait comme tous les ans l’objet d’un battage médiatique impressionnant. Le petit frère japonais connaît un succès incontestable. En distribuant généreusement les étoiles au pays du Soleil Levant, Michelin, devenu un véritable phénomène, s’est offert une publicité considérable. Car Le Guide rouge, depuis des décennies, est un ambassadeur remarquable.

Retard dans le numérique.
Pourtant, il y a quelques raisons de s’inquiéter. Tout d’abord, les Français vont de moins en moins dans les restaurants gastronomiques. La baisse de la TVA n’a pas réussi à enrayer le phénomène : si les consommateurs modernes mangent plus hors de chez eux, les restaurants comme les aime le Michelin n’ont pas les faveurs des jeunes générations, plus attirées par les cantines à bobos ou les bistrots branchés. Autre phénomène, le papier est en perte de vitesse. « On ne voit personne se promener dans la rue avec un guide de 1,2 kilo dans les mains, relève Bertrand Clavières, ancien directeur du Gault & Millau. En revanche, tout le monde a ou aura un Smartphone. » Le Guide a pris le virage numérique avec retard et n’a pas de site Internet. Il suffit de taper Michelin sur Google pour comprendre qu’il s’agit avant tout d’une marque de pneus. Le groupe possède avec ViaMichelin une activité prometteuse dans l’aide au voyage, mais qui avait été externalisée. Un rapprochement est en cours avec Le Guide rouge sous la houlette d’Alain Cuq, patron de la filiale, mais beaucoup de temps a été perdu.

Érosion des ventes.
Á l’arrivée, comme ses concurrents, le Guide Michelin subit une érosion lente. Ses responsables sont très discrets sur les ventes, qu’ils estiment à plus de 300 000, mais, selon nos informations, la baisse serait de l’ordre de 8 % par an pour moins de 80 000 à 100 000 exemplaires du Guide France réellement vendus en 2010. « De telles estimations ne tiennent pas compte des ventes en stations-service, très importantes, ni des expéditions à l’étranger », indique-t-on avenue de Breteuil. Mais, selon un concurrent, l’équation est devenue très délicate : « Michelin imprime deux fois plus de guides qu’il n’en vend, les coûts sont énormes, la distribution coûte la moitié du prix de vente et l’impression pèse 25 %. » Avant même de payer les inspecteurs et les relecteurs, la rentabilité est déjà très faible. Michelin a tenté de trouver des ressources publicitaires en créant le magazine Etoile en 2008, mais le numéro de mars sera le dernier. Quant aux développements internationaux, ils n’ont pas tous le succès de l’édition japonaise. L’édition autrichienne a été arrêtée, comme celles de Las Vegas et Los Angeles. Et puis le Guide commence à être secoué par les critiques. Un phénomène que minimise Jean-Luc Naret : « Cela ne peut nous émouvoir, c’est une simple indication que le Michelin a une influence inégalable.  » Certes, mais l’image de marque fi nit par s’en ressentir. « De l’hystérie gustative, désertée par les idées et abandonnée par le bon sens », s’énervait Périco Légasse dans Marianne en 2004. « C’est sans nul doute, le millésime le plus consternant de ces dernières années », raillait François Simon dans Le Figaro en mars 2010. « Ses dérapages à répétition révèlent une institution vieillissante, à la traîne », écrivent Aymeric Mantoux et Emmanuel Rubin dans un Livre noir de la gastronomie française qui sort ces jours-ci chez Flammarion. Les essais fleurissent pour dénoncer le système Michelin. « C’est un peu injuste car, bien souvent, les critiques viennent de gens qui font le même métier que Le Guide rouge mais en moins bien », souligne le chroniqueur du Monde, Jean-Claude Ribaut, qui publie la biographie non autorisée de Bibendum (Rouge de honte, éditions Menu Fretin).

Réflexion stratégique
Alors combien de temps le groupe Michelin, qui changera prochainement de dirigeant – Jean-Dominique Senard est programmé par Michel Rollier pour le remplacer -, va-t-il conserver son guide et ses activités peu rentables ? La complémentarité avec le pneu a-t-elle encore un sens ? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais, aujourd’hui, les changements de locaux, l’arrivée imminente d’un nouveau directeur et la création prochaine d’un site Internet laissent présager un nouveau départ. Car la marque la plus gonflée de la gastronomie française a besoin d’un nouveau souffle.

Des concurrents distancés
Victoire par K-O pour le Michelin. La concurrence est laminée par Internet, la chute des ventes et les coûts de production. « Ce n’est pas facile de gagner de l’argent avec un guide, indique Bertrand Clavières, ancien directeur du Gault & Millau. Il faut inventer un nouveau modèle axé sur les médias numériques et la monétisation des visiteurs. » Signe de ce marasme, en deux ans, tous les guides ont changé de propriétaire. Souvent des investisseurs attirés par le prestige, qui revendent une fois dans l’impasse financière. Gault a été racheté par le groupe Smart & Co., le Bottin gourmand par le Crédit agricole, le Champérard par le criminologue Alain Bauer, le guide Lebey par l’ancien patron de presse Gérald de Roquemaurel… « Nous mettons en place un modèle économique très léger, sans aucun salarié », explique Pierre-Yves Chupin, le nouveau directeur du Lebey. Quant au Pudlo, il s’arrête, Gilles Pudlowski préférant miser sur son blog, très influent. Seul le Routard, qui se recentre sur les critiques de bistrots, continue à prospérer.

Jean-François Arnaud.

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